• 21 Août 1914

     

    Les hommes se lèvent à deux heures, la journée commence tôt mais elle devait finir tard. Elle commence dans un beau ciel étoile et calme; elle devait finir dans la lueur rouge des incendies.

    Sitôt le café bu, la distribution des cartouches commence. Les petits caissons à munitions sont ouvert, en plus des 200 cartouches réglementaires, chaque soldat emporte une petite sacoche pleine.

    Le Médecin Major de 1ere Classe Bonhomme réunit tout son personnel. Toutes les équipes de brancardiers sont là ainsi que la musique du régiment mise à sa disposition.

    Le colonel se promène de long en large, consultant les dernières instructions Il donne ses recommandations aux mitrailleurs, s'informe si tout est prêt.

    Dans une vaste usine se trouve la 7eme compagnie. A deux pas de la rivière dont ils assuraient la garde des ponts. Voici la Sambre ou plutôt le petit canal qui coupe la boucle de la rivière. De l'autre côté, c'est la voie du chemin de fer, puis la route arrive à Mornimont.

    Le Commandant Clerget a organisé solidement la défense des ponts ; des barricades en barrent l'accès : on n'a laissé que quelques passages libres.

    La Sambre coule profondément encaissée entre deux rives abruptes ; on la voit serpenter à travers la vallée. La voie de chemin de fer de Charleroi à Namur court à travers les boucles de la rivière qu'elle traverse en maints endroits. Tout respiré la tranquillité, le bonheur et la paix. Un train passe à toute vapeur dans la direction de Namur. Les hommes sont-ils véritablement en guerre ?

    Brusquement, vers neuf heures du matin, éclatent quelques coups de fusil épars à droite et à gauche : ce sont des patrouilles de cavalerie aux prises.

    La fusillade se précipite, les patrouilles rentrent de partout ; les allemands arrivent !!! D'ailleurs Spy brûle ainsi que Moustier.

     

    La marche des allemands est marquée par des incendies, pas un coup de canon n'a été tiré; tous les villages prennent feu l'un après l'autre, l'incendie est organisé méthodiquement.

    Un sentiment de rage s'empare des soldats en voyant arriver des gens éperdus, affolés : leurs maisons brûlent, tout a été défoncé par les cavaliers allemands.

    La 8eme compagnie reçoit l'ordre de se porter vers le côté est de la boucle de Ham pour flanquer le premier bataillon.

     

    Le 1er bataillon, commandé par le Commandant Gilquin, s'est battu toute la journée et a besoin de renfort. Les pertes ont été importantes.

    A 10 heures du matin, l'action s'engage. Les Allemands se présentent en face de la passerelle ouest qu'ils veulent franchir à tout prix. Leur artillerie tire avec fureur sur le village de Ham où se trouvent plusieurs sections, au coin d'une maison, le Commandant Gilquin attend les renseignements et dicte les ordres aussi tranquillement que dans un salon et cependant les shrapnels arrosent toutes les rues. Comme il se précise que les Allemands négligent la branche est de la boucle pour attaquer sur la branche ouest, le bataillon se déploie, face à l'attaque : une partie de la première compagnie se place derrière les prairies que l'on voit au bord de la Sambre, en face la passerelle ; mais voici les Boches : un magnifique officier, gigantesque, en grand manteau gris, au casque à pointe couvert d'une toile, s'avance seul sur la passerelle qu'il franchit lentement, il s'arrête au bout, la jumelle à la main, il commence à inspecter les environs, mais son inspection ne dure pas longtemps .

    Deux détonations ! l'officier tombe dans la prairie sur le bord de la rivière. Aussitôt, avec une audace inouïe, les Boches commencent à courir sur la passerelle, ils dégringolent dans l'eau sous le feu à répétition qui les accueille, mais ils continuent à se ruer sur le pont, ils veulent passer à tout prix ; et de fait, sur vingt hommes qui s'élancent deux ou trois arrivent à se tapir dans la prairie, pendant une demi-heure ils passent ainsi au prix de pertes énormes, maintenant le 7eme d'artillerie, dont un observateur dirige le tir du haut du tas de charbon qui domine Ham, au sud, arrose les prairies avec un tir de barrage fort meurtrier pour l'ennemi.

    Une mitrailleuse allemande se démasque de l'autre côté de la Sambre et commence à battre les tranchées d'une grêle de balles. Le baptême est plutôt dur, mais les troupiers bretons sont vraiment extraordinaires : ils répètent les commandements de feu de leurs chefs comme à l'exercice et se moquent les uns des autres parce qu'ils n'arrivent pas à démolir les mitrailleurs ennemis. Cependant les pertes deviennent sensibles, causées par cette mitrailleuse et par le bombardement du village de Ham.

    Le Capitaine Jouanneau, le Lieutenant Courtemanche sont blessés. Lorsque la nuit tombe, la fusillade se calme ; malheureusement l'ennemi a réussi à se maintenir sur la rive sud de la Sambre, il n'y a qu'une petite fraction accrochée à cette rive, car la passerelle a sauté sous les obus français.

    A un moment donné, le Lieutenant Lendormy entend frapper de grands coups de maillet, ce qui l'intrigue beaucoup ; pendant deux heures, ce bruit retentit! Ce sont les Boches qui organisent leur tranchée et la garnissent de fils de fer barbelés. Ce sont de rudes soldats ! Cette après-midi, ils ont montré un mépris pas ordinaire, de la mort en franchissant la passerelle et, ce soir, ils nous montrent qu'ils savent faire la guerre !

    Pendant ce temps, l'incendie éclaire tout l'horizon.

    Le colonel Passaga, suivi de son officier de liaison, le Commandant Bernard, parcourt les emplacements des trois bataillons ; parti de Taravisée, il arrive par des chemins fort mauvais jusqu'à Floreffe envahi par des réfugiés qui traversent la Sambre. Après avoir passé en revue les deux compagnies qui restent du 3eme bataillon (les deux autres sont à Ham, en renfort), il se rend à Mornimont où il voit le 2eme bataillon, puis à Ham-sur-Sambre. Le Commandant Gilquin lui rend compte des pertes : 20 tués, 80 blessés, parmi lesquels le Capitaine Jouanneau et le Lieutenant Courtemanche. Après avoir visité le poste de secours où il prodigue avec émotion des paroles de réconfort et d'encouragement aux premiers blessés de son beau régiment, le colonel Passaga rejoint son poste de commandement.

    Vers 23h30, l'ordre suivant est envoyé aux trois bataillons du 41eme :

    ''Quitter de suite la Sambre ; rassemblement au nord de Fosse en vue d'un engagement dans la direction d'Arsimont''.

     

    20 Août 1914